Nouveau Dictionnaire des idées reçues

A l’usage de tous ceux qui veulent devenir pédagogues


Eloge de la folie

  

Accompagnants –

On parlait autrefois d’ « enseignants ». Mais l’expression est désuète, tout comme l’autorité et le savoir dont elle se voulait le gage. L’accompagnant accompagne comme l’animateur anime. Le second intervient au Centre aéré, le premier le prolonge et le supplée, de l’école au lycée. Enseigner, c’est courber sous les signes. Accompagner, c’est laisser-être, soutenir, compatir, encourager. L’accompagnant ne guide pas l’accompagné, il le suit.
Bon voyage.

 

Apprendre -

Ne doit jamais avoir pour sujets les « apprenants » (voir ce mot – « élèves » pour ceux qui découvrent le champ pédagogique, même si le concept d’ « élèves » est réactionnaire). Les apprenants n’apprennent pas, et encore moins, « par cœur ». Les apprenants, s’apprennent eux-mêmes et à eux-mêmes. Du savoir, ils sont la cause et l’effet. S’il y a quelqu’un qui apprend, c’est l’enseignant, qui a pour fonction d’accompagner la dynamique cognitive initiée par les apprenants. Bref, on n’apprend rien de personne. « Apprendre » est donc un verbe pronominal et surtout intransitif. On s’apprend.
Demander ce qu’on apprend est donc une question sans objet et rétrograde. Tout le monde est apprenant. L’enseignant est apprenant. Donc l’enseignant n’existe pas.

 

Apprentissage (Leviers de) –

Soulèvent des montagnes (d’ignorance, d’indifférence, etc.). Comme certaines prophéties, sont auto-réalisateurs : il suffit d’y croire avec ferveur. Sont l’objet d’incantation lors des réunions pédagogiques. Peuvent être l’objet de rapport copieux et avantageusement rémunérés.

 

Bienveillance –

Valeur essentielle. L’apprenant doit être bienveillant, l’administration doit être bienveillante, tout le monde doit être bienveillant. A supplanté les vieilles valeurs rétrogrades et oppressives : exigence, justice, impartialité.
Peut tout à fait s’accommoder d’une part de condescendance et d’indifférence.

 

Compétences -

On ne saurait trop insister sur ce terme, cœur du logiciel et de l’évaluation. Les compétences sont le kit de modélisation de l’apprenant, en vue d’une intégration efficiente dans les formes de la sociabilité moderne. Ce concept doit absolument être dissocié de celui de savoir et – plus encore – de mérites. Permettons-nous d’insister. Les « compétences » sont la révolution copernicienne de l’Education nouvelle ou, plus exactement : son changement de logiciel. Compétence est le nom d’une adaptation efficace à un milieu, adaptation qui est la finalité même de l’Education, à savoir préparer les usagers de cette institution à intégrer efficacement les interactions sociales propres au marché du travail. En ce sens, les compétences ne sont pas des expertises, encore moins des contenus de savoir, mais des possibilités qui définissent l’apprenant et permettent de le catégoriser efficacement. Les compétences sont attachées aux personnes et les définissent. Le XIXème fut le siècle de l’anthropologie raciale. Nous sommes le siècle de l’anthropologie des compétences.   

 

Cours –

Un enseignant ne « fait » pas cours, pas plus qu’un chef d’orchestre ne fait une symphonie. Il dirige une symphonie d’opinions. Merveilleuse harmonie.

 

Eduland –

Utopie. Les humanistes ont eu leur Thélème. Nous aurons notre Eduland : le pays où on s’amuse, avec des cubes, des couleurs, des tablettes, surtout pas de livres.

 

Evaluation –

On évalue des compétences (cf. ce dernier terme). Evaluer, c’est valoriser. Jamais juger. Les juges condamnent et incarcèrent. Les accompagnants (autrefois nommés « enseignants ») libèrent (cf. pédagogie de la libération). C’est pourquoi ils ne doivent pas évaluer selon le modèle autoritaire anciennement en pratique : l’évaluation doit être l’objet d’un échange critique, aboutissant à l’auto-évaluation des apprenants, la note ne devant jamais être une sanction mais l’assomption d’une nouvelle compétence. C’est pourquoi l’idée de « note », avec tout ce qu’elle implique en termes d’ostracisme et d’injustices, doit laisser place à des marqueurs de bienveillance (cf. ce terme) de préférence colorés et facilement identifiables par les usagers (smiley, like, etc.)

 

Genre –

Toujours sexuel, jamais grammatical.

 

Inégalités –

Essentiellement produites par le système scolaire, ça va de soi. Peuvent aisément être identifiées : le bon élève profite des inégalités, gérant son capital culturel comme l’épicier son fonds de commerce ; le mauvais élève subit les inégalités, opprimé qu’il est par la culture des oppresseurs qui se reproduisent sans pudeur sous son nez.

 

Logiciel –

Doit être changé.

 

Maître –

Ce terme doit être banni des éléments de langage pédagogique. N’a de pertinence que dans le champ politique. Un maître a des esclaves, jamais des apprenants. Les maîtres sont une mythologie qu’il faut dénoncer. (Nota bene : dénonçons les maîtres mais respectons les prophètes – les prophètes participent du pluralisme des croyances, pluralisme qui doit être défendu et cultivé).

 

Mérite –

Cache-sexe de la reproduction des élites.

 

Opinions -

Toutes se valent.

Doivent être encouragées par une prise de parole libre qui transforme le cours en un débat fécond. Leur expression permet : 1/ aux apprenants de dire ce qu’ils pensent de Copernic, Baudelaire, Jul, Jaurès…Penser quelque chose de quelque chose ayant pour principale vertu de favoriser la spontanéité sans nécessiter la réflexion 2/ aux enseignants d’accomplir agréablement leur mission d’animateur, sans s’être couchés trop tard la veille pour préparer leur cours.

 

Orthographe –

Totalitaire. Sexiste. Rétrograde. A fait de trop nombreuses victimes dans l’Histoire.

 

Parents -

Premiers usagers de l’Education. Ils confient leurs enfants (biens meubles) à l’Institution et, en tant que géniteurs et contribuables, sont en droit d’attendre un juste retour sur investissement. Pour user d’une analogie entreprenariale, ce sont les actionnaires de l’Education. Cette dernière est donc un service qui doit donner satisfaction à ceux qui en disposent comme d’un droit (définition de la démocratie – cf. ce terme).

C’est pourquoi – en vertu de ce droit inaliénable pour tout géniteur à revendiquer sa progéniture comme son bien – le terme d’ « élève » s’avère totalement inadéquat. Il n’y a pas d’élèves (encore moins « l’Elève ») mais des enfants, tous différents, tous singuliers, tous précoces. Autrefois, l’élève ne réussissait pas parce qu’il ne travaillait pas. Aujourd’hui, l’enfant ne réussit pas parce qu’il ne comprend pas, et ne travaille pas pour cette raison, ce qui, somme toute, est conséquent. Son absence de travail est donc le signe de son haut potentiel (cf. ce terme). Dès lors, les parents ont un rôle central à jouer dans le système et ont le droit, autant que le devoir, d’exercer leur vigilance, s’assurant que leur enfant reçoit bien une pédagogie différenciée, en accord avec ses besoins. L’enseignant doit impérativement être à l’écoute des parents (rencontre, communication téléphonique à toute heure) afin de cerner la singularité de leur progéniture. Autrefois, l’élève était un élève parmi d’autres. L’enfant, lui, est unique et cela avant tout parce que ses parents le sont.

 

Pédagogie –

Toujours innovante.

 

Pisa (Classement) –

Evaluation internationale de l’enseignement.
Les français sont mauvais.
Les Etats ayant produit cette norme sont bien classés.

 

Potentiel (Haut) –

Tous les élèves sont porteurs d’un tel potentiel. La loi du « Haut Potentiel » prend la forme d’un paradoxe : plus un apprenant échoue dans ses études, plus on peut soupçonner qu’il est porteur d’un Haut Potentiel. Le Haut Potentiel désigne donc une intelligence si singulière qu’elle est inadaptée à la médiocrité de l’enseignement commun. On parlait autrefois de « génie incompris » mais l’expression – outre qu’elle était nimbée d’une pointe de mépris – était discriminatoire autant qu’inadéquate. Car le dit génie avait encore besoin en acte de témoigner de son génie, fût-il incompris. Le « Haut Potentiel », lui, est génial quand bien même il ne fait rien. Mieux : qu’il ne fasse rien est la preuve éclatante de son génie.   

 

Sciences (de l’Education) –

L’Education n’est pas un art mais une science. Partant, comme toute science, elle fonde son objectivité sur la séparation de l’observant et de l’observé. De ce fait, les experts en Education, pour connaître leur objet, doivent s’en tenir éloignés le plus possible. C’est pourquoi ce vivier de penseurs doit être constitué par des chercheurs n’ayant jamais enseigné ou ayant fui très tôt l’enseignement.

 

Sciences (cognitives) –

Sert de métaphysique aux précédentes. Permet d’évacuer efficacement toute question de sens pour lui substituer une logique computationnelle en accord avec le logiciel (changement de) et le positivisme matérialiste.