Le savoir est-il une condition du bonheur ?
Si le savoir était une condition suffisante du bonheur, qui ne chercherait pas à savoir ? Le malheur est que le savoir à lui seul ne promet aucunement le bonheur, comme nous le rappelle le mythe de Faust. Cela, sans doute, pour une raison simple : du bonheur, y a-t-il une science certaine possible ? Qui peut prétendre en avoir et m’en donner un savoir certain ? Le bonheur n’est-il pas toujours le fruit d’une heureuse rencontre, d’une belle fortune, d’une disposition incertaine ? Partant, comment le savoir qui éclaire des relations nécessaires, pourrait-il se saisir de ce qui est par essence contingent et singulier ?
Mais l’ironie ne s’arrête pas là : ne peut-on même soupçonner que le savoir soit la raison de notre malheur ? Le bonheur n’exige-t-il pas, en effet, une certaine illusion, un certain aveuglement ? Tout bonheur n’implique-t-il pas une certaine insouciance et, ce faisant, aussi, une heureuse ignorance ?
Faut-il, toutefois, s’en tenir à une telle misologie, à une telle haine de la raison, en opposant bonheur et savoir ? Si le savoir n’est pas une condition suffisante du bonheur, n’en est-il pas pour autant une condition nécessaire ? En effet, comment pourrais-je atteindre au bonheur sans être éclairé sur ma condition et sur le monde dans lequel s’insère mon action ? Notre malheur n’est-il pas la conséquence de l’illusion et de l’ignorance dans lesquelles nous sommes maintenus ? Mon bonheur n’est-il pas, en ce sens, sous condition d’une intelligence capable d’éclairer ma perfection en propre et de me faire tendre vers une liberté créatrice ?
Dans un premier temps, nous verrons en quelle mesure il n’est pas de science certaine du bonheur, puis nous nous efforcerons de montrer que l’intelligence de soi et du monde est la condition de l’action heureuse ; enfin, nous nous demanderons en quelle mesure un savoir peut ou doit se donner le bonheur pour fin ultime.