La morale est-elle une convention sociale ?
Définir la morale comme une convention sociale, ne serait-ce pas tout simplement lui retirer tout son sens ? En effet, toute convention engage par définition un accord relatif, historique et récusable entre les hommes ; sur ce point, les conventions sont aussi multiples et particulières que les sociétés elles-mêmes et sont sujettes à variations dans le temps. Ce qui est convenu ici ne le sera pas ailleurs. Or, en interprétant la morale comme une convention sociale, ne la réduit-on à n’être que l’expression particulière d’une société particulière ? Il y aurait autant de morales possibles que de formes de sociétés et de conventions possibles. « A chacun sa morale », dans ce cas, mais une telle relativité est-elle compatible avec l’idée même de morale ? Ne suppose-t-elle pas, au contraire, la possibilité de dépasser les particularités qui, notamment, séparent les sociétés les unes des autres, vers un horizon universel et de critiquer ces particularités, quand elles contredisent cet horizon ? Loin d’être simplement immanente à une société historique, la morale n’engage-t-elle, au contraire, un effort pour transcender les conventions qui séparent les hommes ?
Cependant, quel sens aurait une telle universalité si elle ne prenait forme de conventions ? Ne serait-elle pas tout simplement un idéal abstrait ? En ce sens, les devoirs moraux, en prenant forme de conventions entre les hommes, ne sont-ils pas l’expression d’une actualisation de la morale, le signe que les hommes peuvent ordonner leurs relations selon une telle exigence ? Par ailleurs, le lien social ne puise-t-il pas son sens dans une exigence morale universelle ? Comment penser les conventions du droit (justice, égalité ou liberté) sans ce fondement qui leur donne leur légitimité ?
Toutefois, n’y aurait-il pas un risque à confondre l’ordre du devoir moral et celui de la convention sociale ? Et, inversement, à faire du droit l’actualisation des exigences morales ? L’un et l’autre ne sont-ils pas l’expression d’exigences spécifiques que l’on ne saurait confondre ?
Dans un premier temps, nous verrons en quel sens la morale transcende l’ordre de la convention ; puis, nous nous demanderons en quelle mesure la morale peut apparaître comme le fondement des conventions sociales, avant d’interroger le lien et l’écart qui unissent et séparent la morale du droit, le devoir de la convention.