METHODE DE L’ESSAI PHILOSOPHIQUE

 

Préambule :

L’essai philosophique se distingue de la dissertation philosophique par plusieurs aspects :

1/ Tout d’abord, cet exercice est d’une moindre extension par rapport à la dissertation. Compte tenu des deux heures qui vous sont imparties pour le réaliser, on estimera que la copie peut faire une copie double, une copie double et demie, maximum (d’une « écriture normale » bien entendu)

2/ D’autre part, la question qui vous est posée est en relation étroite avec le texte qui a dû être l’objet d’une interprétation littéraire auparavant. Ce qui suppose donc que cette question doit se comprendre comme un problème qu’ouvre le texte en question, même s’il serait mal venu de cantonner votre réflexion à ce que le texte fait apparaître.

3/ De plus, sur le plan de l’organisation formelle de l’exercice, on n’attendra pas que les divers moments de la réflexion soient aussi fouillés que dans le cadre de la dissertation. Ainsi, si l’esprit et la rigueur de l’argumentation doivent être les mêmes, l’introduction, tout en posant le problème par un jeu de questions précises, sera toutefois moins déterminée. Mais nous y reviendrons par la suite.

4/ De même, on peut envisager dans cet exercice des types de raisonnement différents de ceux de la dissertation. Nous les envisagerons par la suite.

5/ Bref, l’essai engage une certaine liberté, notamment dans le choix des références. Toutefois, ne nous y trompons pas : il requiert un questionnement approfondi, un argumentaire maîtrisé et des connaissances précises, non moins que ladurer -mélancolie dissertation. L’erreur serait de croire qu’il s’agit d’une discussion (au coin de la table), que l’on attend que vous fassiez état de vos opinions sur le sujet ou, pire encore, de votre… « ressenti » (ce mot n’existe pas et ce qu’il désigne aurait mieux fait de ne jamais exister : donc gardez-le dans vos téléphones portables)

 

 

    Première Etape : L’analyse du sujet et la construction de l’introduction

 

1/ Le lien de la question et du texte

Ancrée dans un texte, la question que l’on vous pose s’éclaire ainsi déjà par le sens du texte. Ce qui suppose, bien sûr, que vous en ayez cerné le sens précisément. Qu’il s’agisse d’un texte littéraire ne change rien à l’affaire, si tant est que la littérature soit porteuse de sens, non moins que la philosophie.

Ainsi, au moment d’analyser le sujet, demandez-vous en quoi la question posée est motivée par ce texte. Car cette question ne vient pas comme un cheveu sur la soupe mais se justifie par le texte, en tant qu’il ouvre ce problème. Il vous faut donc, dans un premier temps, vous demander en quelle mesure le texte pose cette question et, surtout, comment il y répond. Essayez aussi de mettre en évidence les questions que le texte pose dans le prolongement de la question. Cet effort vous permettra de dégager des arguments qui pourront appuyer votre réflexion, mais aussi vous donner l’amorce de votre essai dans l’introduction.

Prenons un exemple pour comprendre cela. Soit le texte suivant et la question pour l’essai qui lui est jointe (texte et question tirés des sujets de Première) :

 

LE CORBEAU ET LE RENARD

 

Maître Corbeau, sur un arbre perché

Tenait en son bec un fromage.

Maître Renard par l’odeur alléché,

Lui tint à peu près ce langage

« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.

Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. »

A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;

Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l’écoute.

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »

 

Question de réflexion philosophique :

                        Séduire autrui par la parole, est-ce nécessairement le tromper ? 

Cette question est, bien sûr, en rapport étroit avec la (fameuse) fable de La Fontaine. La fable semble confirmer l’hypothèse en engagée. Voyons comment on pourrait construire une introduction en partant du sens du texte puis en produisant un questionnement qui s’y rattache.

 Modèle d’introduction :

            Dans cette fable, La Fontaine nous prévient contre les dangers de la flatterie, d’une parole qui, pour être séduisante, n’en est pas moins trompeuse et illusoire. Faut-il donc, dès lors, se méfier de toute parole séduisante ? Séduire autrui par la parole, est-ce nécessairement faire le « renard » ? Et se laisser séduire par la parole, est-ce se montrer aussi naïf que le Corbeau de la fable ?

            La Fontaine souligne ici à quel point la parole n’est jamais innocente : elle est une arme et celui qui sait bien user de cette magie du discours parvient à ses fins, comme maître Renard. Dès lors, une parole séduisante est-elle toujours trompeuse ? On pourrait légitimement le penser car pourquoi notre parole devrait-elle se montrer séduisante si elle est vraie ? Séduire, n’est-ce pas ainsi dissimuler le sens véritable de ses paroles, chercher à persuader autrui par d’autres moyens que la vérité elle-même ? La séduction de la parole n’est-elle pas illusoire dans la mesure où elle s’adresse à nos émotions et sentiments plutôt qu’à notre raison ? Dès lors, une parole séduisante ne trahit-elle pas nécessairement toute vérité ?

Toutefois, aussi vraie soit-elle, notre parole peut-elle vraiment se passer de toute forme de persuasion ? Pour convaincre autrui, ne faut-il pas avant tout le persuader ? La vérité n’est-elle pas d’ailleurs une forme de séduction du discours ? En ce sens, ne serait-ce pas tout autant faire preuve de naïveté que d’ignorer à quel point tous nos discours, en tant qu’ils cherchent à persuader, cherchent à séduire les autres ? En ce sens, la séduction n’est-elle pas liée essentiellement à toute parole ? Parler, n’est-ce pas avant tout séduire ? N’est-ce pas là le désir qui se loge au cœur de toute parole ?

Ainsi, faut-il condamner toute parole séduisante ? La Fontaine lui-même ne nous dévoile-t-il pas une vérité en usant du pouvoir de la fable, de sa magie et de sa capacité à séduire ? Le propre de toute parole n’est-elle pas ainsi d’unir la raison et la sensibilité, telle qu’elle ne saurait prendre sens en ignorant l’une ou l’autre ? Peut-on donc concevoir un usage de la parole, où la séduction serait la condition de la vérité et non une façon de la trahir ?

Il semble bien que nous sommes face à un problème : d’un côté, la parole séductrice apparaît comme illusoire et trompeuse, privilégiant la persuasion plutôt que la vérité ; d’un autre côté, la séduction n’est-elle pas liée à l’usage même de la parole ? Car comment une parole pourrait-elle faire sens sans nous séduire ?

Nous allons affronter ce problème en voyant dans un premier temps… (annonce de plan)…

 

[Notez, dans cette introduction, comment je rentre en dialogue avec le sens du texte et poursuit ce dialogue au fil de l’introduction, en développant un questionnement qui fasse surgir un problème. Une bonne introduction consiste en cela : à partir de la question que l’on vous pose et du texte qui lui est joint, il faut montrer, par vos questions, en quoi l’hypothèse engagée par cette question, est problématique, c’est-à-dire, par vos arguments, montrer les raisons pour lesquelles on pourrait soutenir cette hypothèse, puis les raison inverses qu’on pourrait lui objecter. Prenez garde, par ailleurs, à l’importance décisive du questionnement dans l’introduction : toutes les questions que vous posez doivent être rapportées à celle que l’on vous pose et avoir pour but d’en interroger le sens.]

 

2/ Analyse du sens de la question

La difficulté de l’essai philosophique tient au fait, qu’outre le lien au texte que l’on vous a proposé, il faut aussi, parallèlement, analyser le sens de la question que l’on vous pose, afin de dégager le problème engagé par cette question. Cette analyse précède l’élaboration de l’introduction est doit vous permettre de faire surgir toutes les questions et problèmes que recouvre la question posée. Ici, l’effort est le même que celui qui définit la dissertation philosophique.

Pour comprendre la façon dont on produit l’analyse de la question, prenons un sujet type que nous ne rapportons pas ici à un texte donné pour se concentrer sur le sens de la question.

Soit la question :

                                   L’Histoire peut-elle justifier la violence ?

 

Analysons le sens de la question (ce qu’il faut faire au brouillon) afin de dégager le problème.

 

Toute cette question tourne autour du sens du verbe « justifier » et du sens qu’on lui attribue. Selon le sens le plus général, justifier quelque chose, c’est lui donner raison, prouver sa légitimité. C’est aussi au sens premier, rendre juste, innocenter quelqu’un en démontrant que l’accusation n’est pas fondée. En ce sens, justifier, c’est défendre, disculper ou excuser.

Ceci fait, il est toujours intéressant d’interroger les termes contraires du concept engagé. S’opposerait au fait de justifier, celui de condamner, de dénoncer, d’accabler, de montrer ou démontrer le caractère inacceptable ou intolérable de quelque chose.

 Or, revenons à partir de cet éclaircissement sur la question posée et appliquons-lui ces précisions :

Comment l’Histoire pourrait-elle en ce sens « justifier » la violence ? Faut-il estimer ainsi que l’Histoire donne raison à la violence, voire l’innocente ? Une telle thèse est-elle seulement acceptable moralement ? Comment l’Histoire pourrait-elle ainsi disculper la violence ? N’est-on pas en droit, au contraire, d’attendre de l’Histoire qu’elle puisse dénoncer la violence, qu’elle la condamne ? Car comment pourrait-on légitimer la violence ? Si elle est un fait incontournable dans l’Histoire, faut-il pour autant accorder ce fait avec la raison ? Ainsi, que la violence existe historiquement la rend-elle tolérable pour autant ? Par conséquent, si l’Histoire est une façon de rendre justice au passé, comment pourrait-elle justifier la violence ?  

On voit comment le problème se dégage déjà par la simple analyse du sens des termes. Poursuivons cette analyse :

On vous dit : « l’Histoire peut-elle justifier la violence ? ». On vous pose donc une question de possibilité. Or, on peut faire jouer cette question de possibilité avec une question de légitimité – ce que nous avons commencé de faire. Autrement dit, on peut opposer ce que l’Histoire peut et ce qu’elle  doit. Ces deux perspectives peuvent en effet entrer en contradiction : il y a des choses qui sont certes possibles sans être exigibles ; l’inverse étant vrai : il y a des choses qui sont exigibles  sans être possibles. Or, il est pertinent, face à cette question, de faire jouer les deux :

Dès lors, s’il est toujours possible de trouver des raisons à la violence dans l’Histoire, à commencer par des causes qui permettraient d’en comprendre l’apparition, faut-il pour autant justifier cette violence ? Est-ce que nous ne sommes pas ici en train de confondre l’intelligence des faits avec leur compréhension ? Car si l’Histoire nous donne bel et bien l’intelligence des faits, doit-elle pour autant les justifier, les rendre conforme à ce que notre raison attend ? En ce sens, est-ce vraiment le but de l’Histoire que de chercher des raisons aux événements, de chercher à les justifier ? Ou n’est-ce pas trahir son sens et l’usage que nous pouvons en faire ? Dès lors, si l’Histoire ne peut pas justifier la violence, c’est peut-être avant tout parce qu’elle ne le doit pas, et si elle ne le doit pas, c’est parce que cela ne lui est pas possible, au sens son rôle n’est pas de juger le passé, mais d’en avoir l’intelligence.

Interrogeons maintenant les concepts majeurs de la question : Histoire et violence. Remarquons d’emblée que l’on vous parle de la  violence, autrement dit de façon indéfinie. Or, il serait pertinent de se demander à ce propos de quelle violence l’on parle ici. Toutes les formes de violence prennent-elles en effet le même sens ?  Outre cela, quel sens prend la violence ? La violence relève de l’usage de la force, d’une force qui entre en contradiction avec la raison. Autrement dit, la violence est par définition irrationnelle (ce qui s’oppose à la raison, ce qui la trahit). Pensons cela en le rapportant au problème :

Ainsi, comment l’Histoire pourrait-elle justifier la violence ? Si justifier consiste bien à accorder quelque chose avec notre raison, comment pourrait-on justifier la violence, qui par définition, s’oppose à la raison ? Ne serait-ce pas une façon de rationaliser  [accorder à la raison]  ce qui est justement irrationnel ? Loin d’avoir une quelconque légitimité, la violence n’est-elle pas le signe que la raison a été trahie ? Dès lors, justifier la violence, n’est-ce pas une façon de la faire ignorer, de vouloir la dissimuler ?

Or, de quelle violence parlons-nous ici ? Toutes les formes de violence se confondent-elles ? Faudrait-il admettre qu’il y aurait dans l’Histoire des violences légitimes et des violences qu’on ne pourrait, au contraire, justifier ? D’autre part, justifier la violence dans l’Histoire, est-ce l’excuser ? Cela ne peut-il être une façon de faire apparaître la nécessité de la violence ? Mais interpréter la violence comme nécessaire, n’est-ce pas en un sens la rendre légitime, ou du moins supposer qu’elle est aussi inévitable qu’indispensable ?

Venons-en au concept d’Histoire. L’histoire peut s’entendre en deux sens : soit on fait référence au récit historique, à la science, soit on renvoie à l’objet de cette science, à savoir le passé humain. C’est donc un concept ambigu qui mêle en un seul mot à la fois la science et son objet. Or, en tenant compte de cette ambiguïté, l’hypothèse prend des sens différents. 

D’autre part, la question ne prend pas le même sens, selon que l’on considère l’Histoire comme le récit historique ou bien comme le passé humain. Dans le premier cas, si l’Histoire désigne le récit de l’historien, comment en effet ce récit pourrait-il justifier la violence ? Est-ce vraiment le rôle de l’historien de rendre acceptable la violence du passé ? Ne risque-t-il pas de se transformer ainsi en idéologue qui chercherait à légitimer la violence, voire à la faire oublier, au prix de l’oubli de la souffrance de ceux qui en furent les victimes ? Plus avant, l’historien a-t-il ainsi vraiment pour rôle de juger le passé moralement, de le justifier ou bien inversement de le condamner ? Son rôle n’est-il pas plutôt de nous en donner l’intelligence ?

Dans le second cas, si l’histoire désigne le passé humain, on peut se demander en quelle mesure ce passé pourrait justifier la violence. Cela revient à dire que la violence serait en quelque sorte une loi nécessaire de l’histoire des hommes et telle que la violence s’imposerait à eux comme un destin inévitable. Mais le passé est-il pure nécessité ? Peut-on estimer ainsi que les événements du passé étaient absolument nécessaires, qu’une guerre ou un massacre, par exemple, se justifiait ainsi, dans le sens où il ne pouvait en être autrement ? Or, n’est-ce pas là oublier que, si les événements historiques ont des causes, ils n’en sont pas moins toujours contingents, c’est-à-dire que l’événement en question aurait très bien pu ne pas avoir lieu ? Ainsi, justifier la violence comme inséparable du cours de l’histoire elle-même, n’est-ce pas déresponsabiliser les hommes ? Or, l’histoire ne s’impose jamais à ce point à eux qu’ils n’en soient aussi les acteurs et les auteurs.

On voit ainsi comment l’effort d’analyse précise de la question nous permet de mettre en évidence un grand nombre d’arguments et de questions, qui sont tout autant de pistes sur lesquelles la réflexion prendra appui, aussi bien pour faire apparaître le problème dans l’introduction que pour développer des arguments dans le développement.

[Notez bien : 1/ toutes les questions que vous posez s’ancrent dans le problème. Vos questions doivent toujours ainsi se rattacher précisément à ce problème et tel que l’on comprenne précisément en quoi elles l’éclairent. 2/ La progression de votre réflexion doit toujours être logique. D’où l’importance des connecteurs dans votre propos. Il ne faut jamais se contenter de juxtaposer les idées à la suite les unes des autres, sans que l’on voit ce qui les unit logiquement. Ainsi, les connecteurs tels que : ensuite, et puis, on peut dire aussi…  doivent être bannis, car cela suppose que vous vous contentez de plaquer des idées à la queue-leu-leu, sans vraiment construire un argumentaire. Par contre, les connecteurs tels que : ainsi, donc, par conséquent, toutefois, cependant, donc, dès lors, c’est pourquoi, si…alors, etc, sont au contraire le signe d’une unité logique de votre réflexion, telle que chaque idée nouvelle que vous avancez s’ancre dans celles qui précèdent, ce en quoi consiste justement le fait d’argumenter]

 

3/ L’introduction

Revenons désormais à l’introduction pour en dégager les principes.

L’introduction est un moment essentiel de votre essai, dans la mesure où elle permet d’ouvrir le problème engagé par la question à partir de votre questionnement. Elle doit donc être précise et ancrée dans la question posée. Donc, il ne faut jamais se perdre dans des propos vagues et généraux qui n’éclairent rien, du type : « De tout temps, les hommes ont été violents. C’est pourquoi on va se demander… ».

L’introduction doit se déployer en plusieurs temps : 1/ vous affrontez le problème selon sa réponse la plus évidente. 2/durer - saint Jérôme Vous soumettez cette évidence à un jeu de questions qui sont autant d’objections au premier moment 3/ Vous rassemblez le problème 4/ Vous annoncez votre plan.

Il faut ajouter à cela un ancrage dans le texte qui vous est proposé, comme nous l’avons vu auparavant. Pour l’exemple pris, je ne le ferai pas, n’ayant pas convoqué un texte, cela afin de vous rendre la logique de l’introduction plus claire. Toutefois, il faut le faire quand la question se rattache à un texte, ce qui sera le cas lors de l’examen.

Voyons donc, à partir du sujet que nous avons envisagé (« L’Histoire peut-elle justifier la violence ? ») quelle forme prendrait votre introduction. Evidemment, tout le travail d’analyse préalable vous a permis de dégager les axes de votre introduction :

            D’emblée, il pourrait sembler impossible, et plus encore scandaleux, de soutenir que l’Histoire puisse justifier la violence. Car, si justifier consiste bien à légitimer quelque chose, comment l’Histoire pourrait-elle ainsi donner raison à la violence, la disculper, voire même l’innocenter ? N’est-on pas en droit d’attendre au contraire de l’Histoire qu’elle condamne la violence ? En ce sens, si la violence est un fait historique indéniable, cela ne la rend pas pour autant tolérable. Par conséquent, si l’Histoire est une façon de rendre justice au passé, peut-elle vraiment justifier la violence ?

            Toutefois, si nous nous tournons vers l’Histoire, n’est-ce pas afin d’en avoir l’intelligence ? Dès lors, quand bien même la violence serait insupportable à notre raison, le récit de l’historien doit-il pour autant l’ignorer ou bien, parce qu’il la condamne, ne pas en comprendre les causes ? Or, à quel moment la compréhension se change-t-elle en justification ? Expliquer la violence, est-ce donc une façon de la rendre nécessaire, indispensable et inévitable, comme si elle était un destin dont les hommes ne pourraient se défaire ? Le risque n’est-il pas de convertir le fait de la violence en un droit légitime ? Or, l’Histoire doit-elle vraiment prendre la forme d’un tribunal, qu’il s’agisse d’ailleurs d’innocenter la violence ou bien inversement de la condamner ?

            Il semble bien que nous sommes face à un problème : d’un côté, comment l’Histoire pourrait-elle justifier la violence sans trahir la raison ? De l’autre, est-ce vraiment le rôle de l’Histoire de dresser le procès du passé, serait-ce au nom des exigences de notre raison ? Quelle est donc la juste compréhension que l’Histoire peut nous apporter de la violence ?

            Pour affronter ce problème, nous verrons dans un premier temps, etc…


 

Deuxième Etape : développement et argumentation

 

1/ A propos de quelques différences « subtiles » entre l’Essai et la Dissertation.

Ces différences, que je pointe à la suite, ne doivent pas faire oublier qu’une argumentation reste une argumentation. Il n’en demeure pas moins des différences :

1/ Tout d’abord, le fait que la question posée s’ancre dans un texte a pour conséquence que vous pouvez puiser, au fil de votre développement, des arguments dans le texte pour éclairer le problème posé. Toutefois, un candidat qui se contenterait, au fil de son argumentaire, de faire référence au texte, témoignerait de son manque de connaissances et ses arguments seraient soit pauvres soit unilatéraux.

2/ Si « classiquement », la dissertation consiste en un plan en trois parties (même si cela n’est pas toujours pertinent), en ce qui concerne l’essai, la structure formelle n’est pas aussi conditionnée. En ce sens, le découpage strict en parties n’est pas absolument requis. Ce qui importe, c’est la dynamique de votre questionnement, de telle manière que l’on voit comment vos arguments progressent, comment, d’autre part, vous mettez à l’épreuve ces mêmes arguments par des objections auxquels vous les soumettez. Cette différence étant posée, il serait mal venu de ne pas organiser sa réflexion en classant vos arguments selon qu’ils soutiennent l’hypothèse ou bien lui font objection.

3/ Puisqu’il y a une unité de votre Enseignement de Spécialité, il ne faut pas hésiter aussi à puiser dans vos connaissances littéraires pour fonder vos arguments (autrement dit, ce que vous avez rencontré dans l’autre partie de votre cours). Mais, prenez bien garde, toutefois, à ne pas confondre ce que l’on attend de vous en littérature et en philosophie. Si vous convoquez des références littéraires, il faut ainsi privilégier le sens et les problèmes qu’elles font surgir, et non engager des réflexions sur le style ou l’histoire littéraire (ce qui est pertinent en littérature).

4/ Si, de même que pour la dissertation, toute énonciation d’un « avis » ou d’une « opinion » est proscrite (du type : « à mon avis, je pense que… »), toutefois l’essai peut impliquer de la part de son rédacteur une prise de position, notamment en conclusion de l’essai. Mais, il ne s’agit pas simplement d’énoncer un avis mais de faire le choix d’une thèse. On trouvera un exemple de cette prise de position quand nous aborderons la conclusion. Dans tous les cas, l’apparition du pronom personnel « je » dans votre argumentation ne doit jamais faire référence à votre personne (intime – et qui doit le rester). Quand vous énoncez vos arguments à la première personne, il s’agit du « je » du penseur, un « je » de l’hypothèse qui peut valoir pour vous ou pour n’importe qui.

Exemple au regard de la question que nous nous sommes posés :

« Or, comment pourrait-on admettre moralement que l’Histoire justifie la violence ? Si je suis victime d’une guerre, quelques raisons par lesquelles on me signifie qu’elle était inévitable, ne demeurera-t-elle pas pour moi totalement irrationnelle et inacceptable ? »

Ici, je recours au pronom personnel « je ». Mais ce « je », vous le comprenez, ne se rapporte pas à moi : je ne suis pas et n’ai jamais été victime d’une guerre. Autrement dit, il me permet ici de formuler une hypothèse et à valeur de « nous ». Hormis cela, ne convoquez jamais le pronom personnel : on vous demande de penser et non de vous confesser.


2/ A propos des points communs de l’Essai et de la Dissertation.

L’introduction a posé le problème. Le rôle du développement va être de revenir sur les aspects de ce problème que vous avez fait apparaître pour en éclairer le sens par vos arguments et vos connaissances. Pour faire une analogie (qui vaut ce qu’elle vaut) l’introduction est la « graine », le développement, c’est « l’arbre ». Ainsi, non moins que dans la dissertation, il y a des règles majeures à respecter :

1/ La logique de la réflexion :

Tous les arguments que vous avancez doivent être unis à vos autres arguments et clairement rapportés à la question posée. En ce sens, ne vous contentez jamais de juxtaposer des idées sans donner les moyens à votre lecteur de comprendre en quoi elles éclairent le problème. Il faut donc toujours se rapporter à ce problème et ancrer votre réflexion dans sa perspective.

Prenons justement un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Imaginons un début de première partie sur le sujet que nous avons pris pour exemple :

« Ainsi, on peut se demander si l’Histoire justifie ou non la violence. L’Histoire est une science qui s’efforce de nous donner l’intelligence du passé et de nous le faire comprendre. Elle nous explique par exemple les causes des guerres ou des révolutions. Ainsi, elle justifie la violence ».

Le candidat, ici, énonce des idées mais sans les rattacher de façon problématique à la question posée et sans s’arrêter dès lors sur les questions qu’engagent ses propres affirmations. Or, il aurait très bien pu argumenter en recourant aux mêmes idées mais en faisant effort de les interroger. Reprenons donc les mêmes idées mais en argumentant cette fois-ci et en faisant apparaître le problème posé :

« Ainsi, on peut se demander en quelle mesure l’Histoire justifie ou non la violence. Si l’Histoire, en tant que science, s’efforce bien de nous donner l’intelligence des événements du passé et de nous les expliquer, d’en éclairer les causes, cette explication revient-elle pour autant à justifier ces événements et la violence dont ils l’expression ? Il est vrai que l’on peut se demander quelle est la différence entre expliquer un événement et le justifier. En effet, à partir du moment où l’historien éclaire les causes d’une guerre ou d’un massacre, le risque n’est-il pas ainsi de justifier cette violence en la faisant apparaître comme nécessaire, inévitable ? Par conséquent, expliquer la violence du passé, n’est-ce pas déjà la rationaliser, la rendre acceptable pour notre raison et donc, en un sens, la rendre acceptable, voire la justifier ? Ainsi, ne pourrait-on pas estimer que l’Histoire justifie la violence, parce qu’elle en admet le fait ? parce qu’elle en produit la nécessité dans son explication ? »

Je n’ai fait ici que déployer des arguments qui étaient présents dans le propos précédent mais qui n’étaient tout simplement pas interrogés. On voit dès lors l’importance du questionnement au fil de votre réflexion. Si, bien sûr, tout votre discours ne doit pas être au style interrogatif, il n’en demeure pas moins que la question vous permet de mettre à l’épreuve des hypothèses, d’en approfondir le sens et de leur opposer des objections. Elle joue donc un rôle essentiel dans la dynamique de votre développement, non moins que dans l’introduction.

2/ L’appui sur les connaissances.

De même que pour la dissertation, les connaissances sont vitales dans l’essai pour nourrir votre argumentaire. On pense par soi-même mais on ne pense pas seul. Autrement dit, un candidat qui n’a pas la maîtrise des thèses rencontrées en cours sera très vite sec dans son argumentation ou s’égarera dans des propos de comptoir sans intérêt. Si c’est un truisme (une vérité évidente qu’on n’aurait pas à rappeler normalement), il est bon de souligner qu’un cours a pour fonction de vous apporter des connaissances riches, qu’il vous s’agit d’apprendre.

Ceci dit, quel usage faire de ses connaissances au fil de votre argumentation ?

Les thèses et les connaissances que vous convoquez doivent s’insérer dans votre réflexion, provenir de vos arguments et ne jamais s’y substituer. Un candidat, ainsi, qui énoncerait ses connaissances sans toutefois les rattacher au problème et montrer, par ses arguments, en quoi elles l’éclairent, passerait à côté de ce qu’on attend de lui. Autrement dit, il s’agit de maîtriser très précisément les thèses mais il faut aussi penser en quoi elles éclairent la question.  

Le mieux est encore d’illustrer cela par un exemple. Prenons un autre sujet possible :

Le Moi existerait-il sans les autres ?
 

Voyons comment dans une partie du développement on pourrait convoquer des connaissances à l’appui de son argumentaire :

« Ainsi, ne peut-on estimer que notre identité personnelle est avant tout la conséquence d’un rapport aux autres ? En effet, quelle réalité aurait le Moi s’il ne devait apparaître sous le regard d’autrui ? En ce sens, si je suis amené à donner forme à ce que je suis, c’est avant tout en répondant à l’appel des autres qui exigent de moi que mon identité, au lieu de rester indéfinie, prennent forme et réalité. Tel est bien en un sens ce que souligne Jean-Paul Sartre, dans un passage de L’Etre et le néant, au travers d’un exemple : supposons que je sois à une terrasse de café et que je considère le garçon qui fait le service. Je pourrais penser qu’il s’agit bien d’un garçon de café et que cette identité qui est la sienne ne dépend pas de moi. Or, n’est-ce pas mon regard qui l’investit de ce rôle ? N’est-il pas ainsi sommé d’apparaître comme garçon de café sous mes yeux et de se comporter comme tel ? Autrement dit, qu’est-ce que notre identité ? Notre identité n’est rien d’autre que le rôle que les autres que nous accomplissions sous leur regard. Le Moi se définit ainsi par les autres. Ce garçon de café n’est un garçon de café que parce que je l’oblige à tenir ce rôle sous mon regard. Or, est-il garçon de café ou joue-t-il à l’être ? Mais sans les rôles que les autres nous contraignent ainsi à assumer, quelle réalité aurait notre Moi ? Quelle épaisseur garde notre identité quand on l’évide de tous les liens et relations sociales qui lui donnent son sens ?»

On voit comment ici la thèse que je convoque est amenée par mes arguments et mon questionnement et est mise précisément en rapport avec la question que l’on me pose.

3/ Les transitions

De même que pour la dissertation, les transitions jouent un rôle important, même si elles ne sont pas aussi formelles. La transition intervient toutes les fois où vous renversez la perspective de votre réflexion, par exemple en ouvrant des objections à l’hypothèse engagée, après l’avoir soutenue par vos arguments, ou bien l’inverse. La transition consiste ainsi à motiver la progression de votre réflexion en amenant la contradiction par un jeu de questions qui remettent en cause la pertinence des arguments que vous souteniez auparavant, afin d’en dévoiler les limites.

Ainsi, elle ne doit jamais consister en un propos superficiel, du type : « On a vu cela, et maintenant on va voir le contraire ».

Prenons un exemple à partir de la question posée plus haut, « Le Moi existerait-il sans les autres ? ». Imaginons que, dans le premier temps de ma réflexion, j’ai soutenu l’hypothèse selon laquelle le Moi serait toujours solidaire d’un rapport aux autres, tel que notre identité ne serait qu’un effet de miroir et n’aurait de réalité que dans la mesure où autrui nous contraint à apparaître sous ses yeux. Mais dans un second temps, je veux au contraire souligner à quel point cette relation peut au contraire éloigner le Moi du sens véritable de son identité. Comment vais-je procéder pour amener ces objections ? Par un jeu de questions qui vont montrer la vulnérabilité des arguments que je soutenais précédemment :

« Ainsi, il semble bien que le Moi prend essentiellement réalité dans une relation aux autres qui lui confère son identité. Or, loin de me retrouver moi-même dans la relation aux autres, ne puis-je aussi me perdre ? Cette relation ne peut-elle apparaître aliénante, surtout lorsqu’elle nous enferme dans des rôles sociaux superficiels ? En ce sens, suis-je vraiment moi-même sous le regard des autres ? Ne suis-je pas au contraire toujours en train d’endosser un rôle que je ne choisis jamais ? N’est-ce pas dès lors dans la solitude que le Moi peut affronter le sens authentique de son identité ? »


Dernière Etape : la conclusion
 

Là aussi, la conclusion sera moins formellement agencée que dans une dissertation. Elle n’en demeure pas moins importante. Son rôle est de tirer la conséquence des arguments engagés au fil de votre développement (ce qui définit une conclusion – passez-moi donc ce truisme) mais cela peut être aussi l’occasion d’une prise de position de la part du candidat, non pas à titre d’avis ou d’opinion mais de choix argumentatif face au problème posé. Le mieux est encore de figurer cela par un exemple, en reprenant la question convoquée plus haut :

«  Ainsi, comme nous venons de le voir, il semble bien que notre identité est toujours tributaire d’une relation aux autres, cette relation la contraignant à s’actualiser et prendre une réalité sociale. Or, si autrui me contraint à apparaître, il peut aussi nous éloigner de nous-mêmes, nous détourner du sens authentique de notre existence. Certes, on admettra que dans des relations privilégiées et rares, telle que l’amitié, le regard de l’autre nous fait exister et nous fait être au-delà de nous-même. Mais qu’en est-il de la relation aux autres, quand l’autre nous réduit à une identité d’emprunt, souvent caricaturale, et quand de même, je le renvoie moi-même à cette catégorie abstraite : « les autres », ignorant sa singularité ? La rencontre avec « les autres » n’est jamais possible : elle est seulement possible quand l’autre devient quelqu’un devant moi et réciproquement. »

Soyez attentifs à la façon dont je prends parti pour une thèse à la toute fin de ma conclusion. Mais jamais je ne dis : « quant à moi… selon mon opinion…etc ». Ce qui n’empêche pas un engagement ferme de la pensée pour une position qu’elle soutient et défend.